Jean-Paul Monery (2010)

Ecouter les voix du silence

Jean-Paul Monery, Conservateur en chef du patrimoine L’Annonciade musée de Saint Tropez, France

Elle a souhaité que j’écrive. Quelle gageure cela constitue pour moi qui sais combien les mots sont infirmes à parler des arts, combien il faudrait toujours s’appliquer le vœu de Matisse de « se couper la langue ». Mais pour une amie pouvais-je me déroger ?

Il faut dire qu’il fut long le chemin de Marie-Noëlle pour trouver sa voie dans la sculpture, tant les idées et le faire liés à l’éducation ont occulté le vrai désir. Il y eut d’abord des études de droit pour parvenir à un doctorat puis passer de longues années de gestion et d’administration et enfin se dégager de cette gangue pour s’ouvrir à soi-même, au faire, à l’ouvrage comme on disait d’antan. Un ouvrage où l’on voit poindre, comme le mot l’indique, l’œuvre.

Une œuvre sans tapage, une présence discrète. Marie-Noëlle ne se confie guère. Une réserve ! Plutôt une méfiance vis-à-vis des mots qui confine au silence. Et c’est bien ce qui convient au regard des œuvres : le silence du fonds des âges. Parmi les premières œuvres il y a celles où l’artiste utilise comme matériau des os de cétacés. De grands fragments d’os érigés en trophées, en totems ou de plus petits posés sur le sol comme de vastes pierres plates. Alors qu’aujourd’hui nous courons vers la cybernétique et le virtuel, il me plait d’imaginer Marie-Noëlle parcourir des terres encore vierges comme celles de Patagonie pour récupérer ces anciens ossements de cétacés et leur redonner vie, couleur et sens. Retourner à son commencement pour trouver une nouvelle universalité et c’est vers quoi tend le travail plastique de cet artiste. Le choix délibéré de ce matériau définit une attitude du sculpteur plus proche alors du démiurge face à la matière. Le pays spirituel n’est guère plus hanté que par quelques solitaires, mais elles sont encore là les « Voix du Silence » gardées par la volonté d’un homme qui a écrit : « dans le soir ou dessine encore Rembrandt, toutes les ombres illustres, et celles des dessinateurs des cavernes, suivent du regard la main hésitante qui prépare leur nouvelle survie ou leur nouveau sommeil ». Dans un monde déserté par les dieux, il semblerait que Marie-Noëlle fait partie de ces artistes pour qui la sculpture est une aventure spirituelle. Ses œuvres ont la force abrupte des constructions qui défient le temps, la beauté farouche de prières primitives. Les œuvres monumentales présentées en plein air sur le golf de Mozé (Anjou) peuvent apparaître comme des œuvres primitives, installées là depuis des millénaires (ill p.) Mais ici, l’ardoise a remplacé les os de cétacés, l’utilisation de ces énormes blocs élabore une sorte de langage qui ramène à l’image des menhirs du passé. Ces œuvres sont un présent figé pour toujours. En les contemplant, on a l’impression d’une présence immuable, mais aussi la sensation de puissance et d’énergie vitale.

Le sentiment primitif de l’espace que nourrit Marie-Noëlle est étroitement apparenté à ses sentiments plus profonds concernant la lumière et le mouvement et que l’on retrouve dans maintes sculptures. La lumière peut être donnée par l’ombre portée d’un bloc sur un autre comme dans la série Split.(ill p .) Elle peut être, aussi, rendue par la main de l’artiste qui ponce, griffe, retire des éléments comme dans TELL ME (ill p.) La lumière est aussi couleur. Traces de peinture sur l’œuvre comme dans Song for freedom (ill p.)ou Way to the stars (ill p.)ou couleur totale, sorte de monochrome recouvrant toute l’œuvre pour faire oublier le matériau et n’être plus que couleur : New Life(ill p.) Quant au mouvement, il peut naître de la répétition du même, comme dans la série en époxy TOUCH ME. (ill p.) Mais il peut être donné par des suites ou des séquences. Ainsi, pour l’œuvre intitulée Once upon a time(ill p.), l’artiste, sur des plaques d’ardoise, trace, écrit des lignes sur lesquelles courent des éléments d’os de cétacés. L’ordonnancement est tel qu’on a le sentiment d’être en présence d’une partition musicale où chaque élément osseux serait une note. Mais l’ensemble pourrait être aussi compris comme un mouvement issu d’un ballet où seul, le sautillement du danseur reste perceptible.

L’œuvre qu’elle présente au musée de la Chasse est un mur d’ardoise, comme un ciel dans la nuit où çà et là scintillent des poussières de lumière. Dans cet espace plan, immobile et d’un noir profond, la vie s’immisce grâce aux éléments blancs lesquels de par leur position créent le mouvement. . L’apparente simplicité de l’œuvre porte en elle tous les éléments qui dessinent, qui désignent la sculpture : l’opposition de l’ombre et de la lumière, de l’inertie et du mouvement, du plan et du relief. Tout est en place pour dire, lire, saisir l’œuvre. On pourrait presque croire en la regardant qu’elle porte en elle la somme de toutes les œuvres jusqu’alors créées ces dernières années.(ill p.)

Aujourd’hui, Marie-Noëlle de la Poype peut se laisser glisser vers ce qu’il lui plaît .Elle est maître de son art et son plaisir est alors dans l’exécution, dans l’enthousiasme et la ferveur qu’elle éprouve en travaillant. C’est le bonheur de faire, de créer que Marie-Noëlle engendre dans ses réalisations et que généreusement elle nous donne en partage.